27 - 08
2018
Si j’apprécie de vous traduire quelques articles d’Ergo-log qui me paraissent intéressants, cela me permet surtout de retranscrire en français une information scientifique qui mérite d’être lue. Cependant, il est toujours plus agréable de travailler directement avec les articles que par un intermédiaire parce que souvent trop résumé, avec parfois un manque de détails et de recul évident. Ce premier article directement traduit et commenté sera suivi par d’autres, comme je vous l’avez annoncé précédemment. Ici, il s’agit d’un article qui résume les expériences cliniques réalisées sur l’Ashwagandha.
Entre autres, il s’agit là de mon domaine préféré de la nutrition, celui de l’Ayurveda, la science plusieurs fois millénaire de l’Inde. Rien n’est plus impressionnant que de lire les centaines de pages des codex de l’Ayurveda décrire des dizaines de végétaux et de plantes à une époque où en Europe, régnait encore les guerres et l’obscurantisme religieux (pléonasme évident). Aujourd’hui, la recherche scientifique commence à peine à explorer le domaine immense couvert par cette science plurimillénaire pour en retirer quelques bribes de savoir. Cet article sur l’Ashwagandha sera suivi ensuite par un autre article sur le Terminalia ajurna, un végétal déjà moins connu que le premier. Il y en a bien d’autres, c’est un euphémisme mais je n’aurais pas assez de toute une vie pour vous en faire des articles. L’article original sera traduit partiellement, mes notes apparaissent en bleu.
An Overview on Ashwagandha: A Rasayana (Rejuvenator) of Ayurveda
Narendra Singh, Mohit Bhalla, Prashanti de Jager, Marlena Gilca, Afr J Tradit Complement Altern Med. 2011; 8(5 Suppl): 208–213. Published online 2011 Jul 3.
L’Ashwagandha (Withania somnifera, famille des Solanaceae) est communément appelé « cerisier indien d’hiver » ou « Ginseng indien ». C’est l’un des végétaux les plus importants de l’Ayurveda (le système traditionnel de médecine en Inde) utilisé depuis des millénaires en tant que Rasayana pour ses nombreux bienfaits sur la santé. Rasayana est un terme qui fait référence à une préparation à base de plantes ou de métaux (oligoéléments et éléments trace présents en quantités infimes comme l’or, l’argent… qui présenteraient une activité supposée mais mal connue dans l’organisme) qui favoriserait un état de santé physique et mentale jeune et augmenterait le bien-être. Ces types de remèdes sont donnés aux enfants en bas âge comme toniques en Inde, et sont également pris par les personnes d’âge moyen et les personnes âgées afin d’augmenter la longévité. Parmi les herbes ayurvédiques de Rasayana, l’Ashwagandha occupe la place la plus importante. Il est connu sous le nom de « Sattvic Kapha Rasayana » Herb (Changhadi, 1938). La plupart des plantes Rasayana seraient des agents adaptogènes et/ou anti-stress.
L’Ashwagandha est généralement disponible sous forme de churna, une poudre fine et tamisée qui peut être mélangée avec de l’eau, du ghee (beurre clarifié) ou du miel. Il améliorerait le fonctionnement du cerveau, du système nerveux et de la mémoire. Il améliorerait les fonctions du système reproducteur tout en favorisant un équilibre sexuel et reproductif sain. Étant un puissant adaptogène, il améliorerait la résilience du corps au stress. L’Ashwagandha améliorerait la défense de l’organisme contre la maladie en améliorant l’immunité à médiation cellulaire. Il possèderait également de puissantes propriétés antioxydantes qui aident à protéger contre les dommages cellulaires causés par les radicaux libres.
Composition chimique de l’Ashwagandha
Les constituants chimiques biologiquement actifs du Withania somnifera sont des alcaloïdes (isopelletierine, anaferine, cuseohygrine, anahygrine, etc.), des lactones stéroïdiens (withanolides, withaférines) et des saponines (Mishra, 2000 et al., 2000). Les sitoindosides et acylstérylglucosides présents dans l’Ashwagandha seraient des agents anti-stress. Les principes actifs de l’Ashwagandha, comme par exemple les sitoindosides VII-X et Withaférine A, ont révélés une activité anti-stress significative contre des modèles aigus de stress expérimental (Bhattacharya et al., 1987). Bon nombre de ses constituants favorisent les actions immunomodulatrices (Ghosal et al., 1989). Les parties aériennes du Withania somnifera contiennent du 5-déhydroxy withanolide-R et de l’omniférine-A (Atta-ur-Rahman et al., 1991).
Utilisation traditionnelle de l’Ashwagandha
L’Ayurveda, la médecine traditionnelle pratiquée en Inde, remonte à 6000 ans avant JC (Charak Samhita, 1949). Pendant ces 6000 ans, l’Ashwagandha a été utilisé comme Rasayana. La racine d’Ashwagandha est considérée comme tonique, aphrodisiaque, narcotique, diurétique, vermifuge, astringente, thermogénique, anabolisante et stimulante. La racine sentirait le cheval (« ashwa« ), c’est pourquoi on l’appelle Ashwagandha. Sa consommation donnerait la puissance d’un cheval selon la tradition.
Il est communément utilisé en cas d’émaciation des enfants (avec du lait, il serait le meilleur tonique pour les enfants), de débilité liée au vieillissement, de rhumatismes, troubles de vata, leucodermie, constipation, insomnie, dépression nerveuse, goitre, etc. (Sharma, 1999). Une pâte formée avec des racines écrasées avec de l’eau serait appliquée pour réduire l’inflammation au niveau des articulations (Bhandari, 1970). Il est également posé localement sur les anthrax, les ulcères et les gonflements douloureux (Kritikar et Basu, 1935). La racine en combinaison avec d’autres substances est prescrite contre le venin de serpent et la piqûre du scorpion. Il aiderait également contre la leucorrhée, les furoncles, les boutons, les coliques flatulentes, les vers et les hémorroïdes (Misra, 2004). L’Ashwagandha Nagori serait la meilleure variété d’Ashwagandha. Le maximum d’avantages apparaît lorsque de la poudre d’Ashwagandha fraîche est utilisée (Singh, 1983).
Les feuilles sont amères, elles sont recommandées en cas de fièvre et de gonflement douloureux. Les fleurs sont astringentes, dépuratives, diurétiques et aphrodisiaques. Les graines sont anthelminthiques et combinées à de l’astringent et du sel gemme, éliminent les taches blanches de la cornée. L’Ashwagandharishta est préparé à partir de cette substance. Il est utilisé dans les cas d’hystérie, d’anxiété, de perte de mémoire, de syncope, etc. Il agirait également comme stimulant et augmenterait le nombre de spermatozoïdes (Sharma, 1938).
Les études scientifiques sur les effets adaptogènes et anti-stress de l’Ashwagandha
L’Aswagandha est souvent comparé à l’Eleutherococcus senticosus (Ginseng sibérien) et le Panax Ginseng (Ginseng coréen/chinois) pour ses propriétés adaptogènes. Il est donc connu sous le nom de Ginseng indien (Singh et al., 2010). Les études approfondies sur le modèle biologique des animaux concernant les propriétés adaptogènes et anti-stress de l’Ashwagandha (Abbas et Singh, 2006; Kalsi et al., 1987; Singh et al., 1976, 1977, 1981, 1982, 1993a, 1993b, 2003 (Singh, 1995a, 1995b, 2006, 2008) ont montré qu’il était efficace pour augmenter l’endurance physique et prévenir l’ulcère gastrique induit par le stress, l’hépatotoxicité et la mortalité induites par le tétrachlorure de carbone (CCl4).
L’Ashwagandha présente une activité anti-stress similaire chez le rat (Archana & Namasivayam, 1999). Une suspension aqueuse de racines d’Ashwagandha a été utilisée à raison de 100 mg/kg par dose orale. Les résultats indiquent une augmentation significative du taux plasmatique de corticostérone, de l’indice phagocytaire et de stress chez les rats prétraités avec la substance végétale. Ces paramètres étaient proches des valeurs témoins alors qu’une augmentation de la durée de la nage a été observée (voir ci-dessous). Ces résultats indiquent que le Withania somnifera utilisé sous forme brute serait un puissant agent anti-stress. Les résultats de ces études étayent l’hypothèse des effets toniques, vitalisants et régénérateurs prêtés à l’Ayurveda qui indiquent l’utilisation clinique du Withania somnifera dans la prévention et le traitement de nombreuses maladies induites par le stress comme l’artériosclérose, le vieillissement prématuré, l’arthrite, le diabète, l’hypertension… (Singh 1986, 2005; Singh et Misra, 1993).
Les effets de l’Ashwagandha sur les performances physiques en natation
L’Ashwagandha a démontré qu’il permettait d’augmenter les performances en natation chez les rats (temps de nage pendant les tests d’endurance physique). Les propriétés anti-stress de l »Ashwagandha ont été étudiées en utilisant des rats adultes avec un test de résistance à l’endurance. Les animaux traités avec l’Ashwagandha ont montré une augmentation significative de la durée du temps de nage par rapport au contrôle. Le groupe témoin de souris a nagé pendant une durée moyenne de 385 minutes, tandis que les animaux traités avec la substance végétale ont continué à nager pendant une durée moyenne de 740 minutes. Ainsi, le temps de natation a été à peu près doublé après le traitement par Withania somnifera.
Effets sur le taux de cortisol et d’acide ascorbique des surrénales
La teneur en cortisol des glandes surrénales était significativement réduite chez les animaux soumis à une nage constante de 5 heures par rapport au groupe non nageur. Un prétraitement avec l’Ashwagandha a empêché la réduction de la teneur en cortisol des glandes surrénales. La teneur en acide ascorbique était également réduite de manière significative après 5 heures de nage par rapport au groupe non nageur. Le prétraitement avec le végétal a empêché la réduction de la teneur en acide ascorbique qui se produit après le stress de la natation. Ainsi, le traitement par Withania somnifera prévient la diminution du cortisol surrénal et de l’acide ascorbique due au stress de la natation et de la fatigue. (…)
Les effets anabolisants de l’Ashwagandha
Une augmentation significative du poids de corps du groupe traité avec l’Ashwagandha comparé à un groupe de contrôle sur une période de 3 mois chez des rats a été observée. (…)
Les effets sur le système nerveux central et la cognition par l’Ashwagandha
Comme cité plus haut, l’Ashwagandha est un Rasayana ayurvédique bien connu. Il appartient à un sous-groupe de Rasayanas appelé Medhya Rasayana (ainsi que le Bacopa monieri, bien évidemment). Medhya se réfère généralement à l’esprit et à la capacité mentale/intellectuelle. Ainsi, les Medhya Rasayana comme l’Ashwagandha, sont utilisés pour promouvoir l’intellect et la mémoire. L’effet de Medhya Rasayana favorisant la cognition serait plus visible chez les enfants présentant des déficits de mémoire, ou lorsque la mémoire est compromise à la suite d’un traumatisme crânien, d’une maladie prolongée ou d’un âge avancé (Singh et Udupa., 1993).
Les effets mimétiques du GABA de l’Ashwagandha sur la neurodégénération et son potentiel neurorégénératif
Des expériences comportementales ont rendu compte de l’activité GABA-mimétique d’un extrait de racines d’Ashwagandha. La neurodégénérescence GABAergique due à l’excitotoxicité induite par les neuroleptiques et au stress oxydatif est l’un des mécanismes étiopathologiques de la physiopathologie de la dyskinésie tardive (Gunne et al., 1993). L’effet bénéfique de l’extrait de racine d’Ashwagandha pourrait être dû à son activité mimétique du GABA. L’ashwagandha, ses constituants et les métabolites de ses constituants ont favorisé la croissance des nerfs après 7 jours de traitement.
Une étude intrigante a démontré que l’administration orale chronique de withanoside IV atténuait les pertes axonales, dendritiques, synaptiques et les déficits de mémoire induits par le peptide amyloïde Aβ (25-35) chez la souris (Kuboyama et al, 2006). Après administration orale chez la souris, le withanoside IV a été métabolisé en sominone, ce qui avait induit une récupération marquée au niveau des neurites et des synapses, ainsi qu’une croissance et une synaptogenèse axonales et dendritiques. Ces effets ont été maintenus pendant au moins 7 jours après l’arrêt de l’administration du withanoside IV. Ces données suggèrent que le withanoside IV et son métabolite, la sominone, pourraient avoir une utilité clinique en tant que médicaments anti-démence.
Une autre équipe a découvert qu’un extrait au méthanol d’Ashwagandha (5 mg/ml) augmentait significativement le pourcentage de cellules présentant des neurites dans les cellules SK-N-SH du neuroblastome humain. L’effet de l’extrait dépendait de la dose et du temps. Les taux d’ARNm des marqueurs dendritiques MAP2 et PSD-95 par RT-PCR se sont révélés nettement accrus par un traitement avec l’extrait. L’immunocytochimie a démontré l’expression spécifique de MAP2 dans les neurites étendus par l’extrait. Ces résultats suggèrent que l’extrait au méthanol d’Ashwagandha favorise la formation de dendrites (Kulkarni et al., 1993).
L’effet anxiolytique du végétal ayurvédique
L’Ashwagandha a induit un effet anxiolytique apaisant comparable à celui du Lorazépam dans les trois tests standard d’anxiété: le labyrinthe, l’interaction sociale et la latence alimentaire dans un environnement inconnu. En outre, à la fois l’Ashwagandha et le Lorazépam ont réduit les marqueurs de l’anxiété clinique, lorsque les taux étaient augmentés après l’administration d’un agent anxiogène, le pentylènetétrazole.
L’Ashwagandha présentait également un effet antidépresseur, comparable à celui induit par l’imipramine, dans deux tests standards, les tests de «désespoir comportemental» induits par la nage forcée et les tests d’«impuissance acquise». Les investigations confirment l’utilisation de l’Ashwagandha comme stabilisateur de l’humeur dans des conditions cliniques d’anxiété et de dépression. (Abdel-Magied et al., 2001)
L’effet de l’Ashwagandha sur les niveaux d’énergie et la santé mitochondriale
L’effet de l’Ashwagandha sur la synthèse des glycosaminoglycanes dans le tissu de granulation du granulome d’une poche d’air induit par la carragénine a été étudié. L’Ashwagandha exerce un effet inhibiteur significatif sur l’incorporation du ribosome 35S dans le tissu de granulation (Pour simplifier: pré-transcription de l’ARN (ribosome 35S) et consommation d’énergie, voir schéma. Donc, ici, le WS inhibe la pré-transcription). L’effet découplant sur la phosphorylation oxydative (réduction du rapport ADP/O) a également été observé dans les mitochondries du tissu de granulation. En outre, l’activité d’ATPase dépendante de Mg2+ s’est avérée être influencée par l’Ashwagandha. L’extrait végétal a également réduit l’activité enzymatique de la succinate déshydrogénase dans les mitochondries du tissu de granulation (Begum & Sadique, 1987).
L’effet anti-inflammatoire de la Withaférine
La withaférine A et le 3-b-hydroxy-2,3-dihydrowithanolide F isolés à partir du Withania somnifera présenteraient des propriétés antibactériennes, antitumorales, immunomodulatrices et anti-inflammatoires prometteuses (Budhiraja et Sudhir, 1987). (…)
Discussion et conclusion des auteurs
Les données scientifiques disponibles soutiennent la conclusion que l’Ashwagandha est un véritable tonique régénérateur puissant (Rasayana), en raison de ses nombreuses actions pharmacologiques, anti-stress, neuroprotecteur, antitumoral, anti-arthritique, analgésique et anti-inflammatoire. (…) Ainsi, les résultats donnés ci-dessus indiquent clairement que l’utilisation traditionnelle de l’Ashwagandha repose sur une base logique et scientifique. Des études cliniques à grande échelle seront nécessaires pour prouver l’efficacité clinique de cette plante, en particulier pour les maladies liées au stress, les troubles neuronaux et les cancers.
Quant à moi, je vous retrouve rapidement sur le blog pour vous parler d’autres ergogènes végétaux très peu connus chez nous. Ensuite, viendra la suite des articles « Comprendre la croissance musculaire ».
Eric Mallet
Références bibliographiques
Quelques lectures intéressantes sur l’Ayurveda
- Sri Ram Khanna, Madhu Saxena, Food standards and safety in a globalised world: the impact of WTO and codex, New Century Publications, Michigan University, 2003
- C. P. Khare, Chandra Kant Katiyar, The Modern Ayurveda: Milestones Beyond the Classical Age, CRC Press, Boca Raton, 2012
- Leung Ping-chung, From Ayurveda To Chinese Medicine, World Scientific, Singapore, 2017
- Luisella Verotta, Maria Pia Macchi, Padma Venkatasubramanian, Connecting Indian Wisdom and Western Science: Plant Usage for Nutrition and Health, CRC Press, Boca Raton, 2015
- Vasant Lad, Ayurveda: The Science of Self-healing : a Practical Guide, Motilal Banarsidass Publishe, Twin lakes, 2002
- Frank John Ninivaggi, An Elementary Textbook of Ayurveda: Medicine with a Six Thousand Year Old Tradition, Psychosocial Press, Yale University School of Medicine, 2001
- Dagmar Wujastyk, Frederick M. Smith, Modern and Global Ayurveda: Pluralism and Paradigms, SUNY Press, New York, 2013
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